Dans le cadre de l’Observatoire breton du changement sur les estrans (OBCE) animé par Bretagne Vivante, Chistian Hily fait le point sur les signalements de Poulpe, enregistrés en Bretagne cet été.

 

Le poulpe présent sur les estrans bretons cet été : épisode anecdotique ou changement durable ?

Christian Hily – Septembre 2021

Le Poulpe commun et la Pieuvre commune correspondent à une seule et même espèce dans nos eaux : Octopus vulgaris. Peut-être avez-vous lu dans la presse de cet été les articles consacrés à la prolifération des poulpes et aux inquiétudes des pêcheurs du Morbihan qui ont vu leurs prises de crabes et de homards en chute libre, les pieuvres ayant « remplacé » les crustacés dans leurs casiers ? Côté estran, plusieurs naturalistes ont noté pour la première fois la pieuvre présente dans le Finistère Sud lors d’inventaires OBCE, et l’espèce est donc venue s’ajouter à notre liste intertidale qui compte maintenant 515 espèces au total. C’est l’occasion de faire un point d’information sur cette espèce et sa prolifération soudaine en Sud-Bretagne, qui pourrait avoir des conséquences durables sur les écosystèmes littoraux de notre région.

En effet, une petite recherche bibliographique semble indiquer que cette espèce, qui avait quasiment disparu de Bretagne lors d’hivers très froids (1956 et 1962/63), avait depuis lentement recolonisé les eaux littorales. Cette recolonisation, peut-être freinée par les hivers de 1985 et 1996/97, restait toutefois relativement modeste et peu visible dans les débarquements des pêcheurs bretons. Le poulpe est resté peu ou pas observé à basse mer. Cependant, cela a probablement préparé les conditions permettant l’explosion démographique de cet été 2021. Les hivers doux de ces dernières années ont sans doute permis une bonne survie de juvéniles qui ont pu atteindre rapidement leur maturité et se reproduire massivement en moins d’un an. Le cycle de vie des céphalopodes de nos eaux nord-est atlantiques (seiches, calmars et pieuvres) est assez original et a toutes les caractéristiques pour en faire des espèces très favorisées par un réchauffement rapide des eaux marines. Cette dynamique est déjà avérée dans de nombreuses régions du monde.

La pieuvre a une durée de vie courte (14 à 18 mois en moyenne) avec une croissance très rapide (atteignant 3 kg en un an), qui traduit un appétit vorace. C’est un redoutable prédateur, consommant une grande variété de proies, en priorité les crustacés benthiques, crabes, homards, langoustes, ainsi que les mollusques. Parmi les mollusques, les coquilles Saint-Jacques, qui se trouvent en surface du sédiment, sont des proies privilégiées.

C’est donc une espèce qui sait très bien s’adapter à son environnement, ce qui est un atout dans le contexte du changement rapide des écosystèmes marins.

Un autre atout de taille dans sa stratégie démographique est le très grand nombre d’œufs que chaque femelle peut pondre. Sur les parois de son abri de roche ou de sable, elle fixe entre 100 000 et 500 000 œufs de quelques millimètres rassemblés en grappes. Elle va les protéger quelques semaines, puis mourir peu de temps après. Après l’accouplement, le mâle va également mourir quelques semaines plus tard.

La phase larvaire pélagique est de 3 à 5 semaines en moyenne, mais peut atteindre 3 mois dans les eaux les plus froides de son aire de répartition, ce qui facilite son extension dans de nouveaux secteurs géographiques.

Tous ces facteurs caractérisent une espèce dite « opportuniste », bonne candidate pour s’adapter au changement global en cours.

Dans des conditions normales, les jeunes pieuvres ont de nombreux prédateurs qui régulent les populations à tous les moments de la croissance. Mais le plus gros changement sur ce point est sans aucun doute, l’effondrement de l’abondance des individus de grande taille des espèces prédatrices, induit par la surpêche, qui seules pouvait limiter l’abondance des pieuvres ayant atteint la maturité sexuelle : gros poissons carnivores benthiques et démersaux dont les sélaciens (requins, roussettes), mais aussi les mammifères marins, dauphins et phoques. Les pieuvres n’ont donc aujourd’hui presque plus de prédateurs naturels efficaces.

Enfin, les pieuvres bénéficient du réchauffement des eaux marines, tout au moins dans la gamme des températures du littoral atlantique actuelles et prévues pour les prochaines dizaines d’années. L’espèce est très abondante en Méditerranée et sur le littoral atlantique de l’Afrique de l’ouest, où elle fait l’objet de pêcheries importantes. De plus, il a été montré que les femelles pondent un plus grand nombre d’œufs dans les limites nord de sa répartition comme dans le golfe de Gascogne et donc en Bretagne Sud. C’est donc une stratégie qui facilite l’expansion vers le Nord.

En conclusion, même si l’hiver prochain était froid, et/ou que l’été 2022 montrait un retour à « la normale », tous les signaux sont là pour que la pieuvre devienne ces prochaines années une espèce commune de nos estrans, même en Manche, avec des épisodes de prolifération suivis de régulation, mais dont les conséquences sur les écosystèmes littoraux et même intertidaux risquent fort de ne pas être négligeables.

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Et en Côtes d’Armor ?

En Côtes d’Armor, plusieurs articles de presse ont relaté des observations de poulpes communs au large, réalisées par des pêcheurs professionnels ou des plongeurs. Pour Florence Gully et Marc Cochu, spécialistes de l’estran et administrateurs du précieux site estran 22, aucune observation certaine d’Octopus vulgaris n’a encore été signalée sur les estrans du département.

En revanche, une espèce très ressemblante, le poulpe blanc Eledone cirrhosa vivant normalement en profondeur (25 à 700 m), a été identifiée avec certitude sur une plage costarmoricaine.

Le poulpe blanc est plus petit (<1kg) et moins prolifique que le poulpe commun. Pour différencier les deux espèces, il est nécessaire de compter le nombre de rangées de ventouses sous les bras :

  • Octopus vulgaris (famille des Octopodidae) présente 2 rangées de ventouses au niveau de chaque bras et des bras épais.
  • Eledone cirrhosa (famille des Eledonidae) présente 1 rangée de ventouses au niveau de chaque bras et des bras minces.

En cas de rencontre inattendue sur l’estran, observez bien ces critères, prenez des photos et signalez votre observation sur estran 22 ou à VivArmor Nature.

Plus d’informations sur les données de pieuvres en Côtes d’Armor.

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